• Benoît Dorémus par Henri Loevenbruck

    Ça a commencé par un regard en coin. C’était en 2007.

    Quand l’un de vos potes – du genre chanteur célèbre et grincheux – vous dit qu’il a craqué pour un jeune artiste au point de vouloir le produire (ce qu’il ne fait d’ordinaire jamais), vous prêtez une oreille amicale, c’est-à-dire indulgente mais pas tout à fait attentive. Et puis là, vous entendez J’écris faux, je chante de la main gauche, et vous prenez un camouflet sur chaque joue, face A et face B. Surprise, ce n’est pas juste le pote d’un pote, c’est un putain de bon chanteur (ce qui, en soi, est plutôt bienvenu, car cela vous épargne de devoir dire au premier pote que, ouais, euh, c’est pas mal, mais bon, euh, voilà quoi…). Non seulement le type derrière le micro a un style à lui, qui fait mouche – entre rap, rock et chanson française – mais en plus, celui derrière le stylo (c’est le même, hein, je dis juste ça pour la formule), ce bougre, écrit comme très peu savent encore le faire dans ce morne paysage. Pire : cette ordure n’est pas seulement un conteur doué, c’est un tueur du rythme et de la rime.

    Pour un premier album, Jeunesse se passe, de Benoît Dorémus, était un pavé dans la marre. Manque de chance, à ce moment précis de l’histoire, il n’y avait pas grand-monde autour de la marre, tous occupés qu’ils étaient à écouter d’immondes bouses radiophoniques ta mère, et le pavé n’a donc éclaboussé que les bons pêcheurs. Oui, parce que les pêcheurs, c’est comme les chasseurs ; il y a les bons pêcheurs, et… non, rien.

    Voici venu 2010 et, après avoir suivi Renan Luce aux quatre coins de France pour assurer sa première partie, celui qui se fait appeler Benitô revient avec un second album, intitulé 2020


    Dès la première écoute, vous sentez les marches gravies par l’auteur comme par le chanteur. La voix, d’abord, s’est assurée. Sans perdre de sa frappe, elle s’est libérée de l’influence du grincheux cité plus haut, pour trouver plus d’authenticité, de justesse, et un timbre plus clair qui lui sied fort bien. Le compositeur, ensuite, s’est tourné vers son public. Certains pourront regretter peut-être les compositions plus osées du premier album, mais la musique n’est pas un art onaniste, elle est faite pour être partagée, et les titres de ce second album vont droit au but : ils se chantent.

    Et puis l’auteur, enfin… Car voilà, Dorémus, pour moi, c’est avant tout et surtout un auteur, et pas des moindres. Je soupçonne le gaillard d’être un romancier avorté, du genre à se dire qu’une chanson, c’est quand même vachement moins long à écrire qu’un roman (bâtard !)… N’empêche qu’il est là, l’écrivain, il est derrière certaines des chansons de cet album qui sont de purs joyaux, et je pèse mes mots. Deux pieds dedans et De l’autre côté de l’ordi sont, pour moi, deux purs chefs-d’œuvre, du genre de ceux qu’on aurait aimé savoir écrire un jour. Magie de la versification, magie des rimes, magie de la diction, et surtout, magie de l’histoire. L’une, peinture juste et touchante d’un fugueur adolescent, dressée sans la moindre condescendance (Mais pour la couleur de ma galère / Pour le trou d’air dans mon histoire / Vous avez qué-blo sur bleu-clair / La réponse, c’était merde noire), et l’autre, regard terriblement réaliste sur la difficulté que constitue le grand plongeon de celui qui, aujourd’hui, décide de se lancer dans une carrière de chanteur à textes… À l’heure où je vous écris, le numéro 1 du top 50, c’est Mignon, mignon, de René la taupe... Est-il nécessaire d’en dire davantage ?

    Bien plus diversifié que le premier album, qui n’était presque qu’exclusivement introspectif, 2020 va de la chanson drôle (T’as la loose !) à la chanson engagée (Bilan carbone) en passant par l’émotion de titres comme les deux précités ou ce Paris, qui dit l’amour-haine qu’éprouve le chanteur pour la capitale.

    Vous l’aurez compris, il n’y a pas grand-chose à jeter, sur ce disque, et beaucoup à prendre. Dorémus, chanteur impudique, nous livre une âme dans un petit boîtier cristal. À ce prix-là, l’âme étant belle, c’est une affaire.

    Je ne vous bourre pas souvent le mou (nota bene, pour ceux qui comme moi se demandent quelle est l’étymologie de cette étrange expression, j’ai cherché, mou est un mot d’argot qui signifie crâne…) avec des chanteurs ou des groupes. Dorémus et Volo. Voilà. Si je peux avoir la moindre influence sur vos découvertes artistiques, si je peux servir à quelque chose en dehors d’écrire des bouquins, j’aimerais que cela soit à ça. J’aimerais que vous découvriez Benoît Dorémus, parce que je sais qu’il y a peu de chance que vous m’en vouliez ensuite…


    Henri Loevenbruck


    Article mis en ligne par Henri Loevenbruck sur facebook le 13 Septembre 2010


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